Mon billet publié dans le Huffington Post
Certains pensent qu’ils peuvent décider à la place d’une femme sans justement pouvoir se mettre à sa place, face à un choix qui ne les concerne aucunement, face à une situation dont ils ne feront jamais l’expérience. Ils s’arrogent un droit d’ingérence sans en avoir le droit, ils prétendent qu’une femme ne peut avoir la maîtrise de sa vie et de son destin. Ils prétendent que le corps d’une femme peut être réduit à une seule fonction reproductive.
Le corps d’une femme n’appartient à personne d’autre qu’elle-même. Le droit des femmes à disposer librement de leur corps n’est pas négociable. En cas de grossesse non désirée, non planifiée, même si cela ne met pas sa vie en danger, même si c’est le résultat d’un rapport consenti, dans tous les cas de figure, une femme a tous les droits sur son corps. Le choix d’avorter ne se fait ni à la légère ni de gaieté de cœur. C’est le choix autonome d’une femme sur sa vie, qui affirme la mainmise qu’elle a sur sa propre personne. Dénier ce droit à une femme, c’est perpétrer une violence extrême envers elle. Elle en devient la victime, surtout pas le bourreau.
Le droit à l’avortement est encore loin d’être acquis. Environ 40% des femmes dans le monde y ont pleinement accès, 61 États seulement l’autorisent sans restriction. L’OMS estime que près de 22 millions de femmes sont contraintes chaque année de procéder à un avortement non encadré médicalement. En 2008, 47.000 décès auraient résulté de ces avortements à risque. Le droit à un avortement sûr, c’est le droit de vivre. Ceux qui osent affirmer le contraire surfent honteusement sur l’hypocrisie de la situation.
Au sein-même de l’Union européenne, c’est un droit qui reste fragile également. Il est très limité dans trois États: l’Irlande (interdit sauf en cas de danger pour la vie de la mère), Malte (strictement interdit, l’avortement constitue un délit passible d’une peine de prison), et la Pologne (autorisé uniquement en cas de risque pour la vie ou la santé de la mère, de pathologie grave et irréversible chez l’embryon ou de grossesse résultant d’un viol ou d’un inceste). En Italie, même s’il est possible d’avorter, de plus en plus de médecins invoquent « l’objection de conscience ». En Espagne, le gouvernement conservateur a tenté -heureusement sans succès- de restreindre considérablement le droit à l’avortement. Même en France, il faut continuer à se battre pour ce droit: un amendement au projet de loi « égalité et citoyenneté », présenté par le gouvernement, vise à élargir le délit d’entrave à l’avortement aux sites internet qui véhiculent des informations biaisées sur l’IVG. Cet amendement vient d’être rejeté par le Sénat. Un état des lieux inquiétant sur le point de s’aggraver davantage, en témoigne ce qui se passe en Pologne.
« J’appelle à ce que le droit à l’avortement soit inscrit dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. »
Le Parlement polonais s’apprête en effet à durcir une des lois les plus restrictives d’Europe, en adoptant une proposition d’initiative citoyenne pour interdire totalement l’avortement (sauf en cas de « danger immédiat » pour la vie de la femme enceinte). En pratique, aucune femme ne pourrait avorter. Même une fillette de douze ans victime d’inceste. Même une femme victime de viol. Même en cas de pathologie grave chez l’embryon. Comme si ce n’était pas assez, l’avortement serait considéré comme un crime, passible d’une peine allant jusqu’à 5 ans de prison, tant pour les femmes que les médecins et le personnel soignant. Cerise sur le gâteau, un autre projet de loi du gouvernement prévoit même d’interdire la contraception d’urgence. Dans un pays où il est déjà très difficile d’avorter, où l’accès des femmes au planning familial est limité, où l’éducation sexuelle dans les écoles est très peu développée, et où les organisations de défense des droits des femmes se sont vues supprimer leurs subventions publiques, il s’agit d’un terrible retour en arrière.
Il s’agit là d’une loi liberticide et réactionnaire qui ne saurait être autorisée dans l’Union européenne. L’Union européenne qui, rappelons-le, représente une communauté de valeurs, fondée sur le respect de l’état de droit et la protection des droits fondamentaux. Des droits « gravés » dans une Charte des Droits fondamentaux, qui dispose d’une valeur juridique contraignante. Tous les droits fondamentaux? Non, pas les droits des femmes et notamment le droit à disposer librement de leur corps. Cette brèche dans le droit européen a permis à des États membres comme la Pologne, Malte ou l’Irlande, qui considèrent l’avortement comme un crime, de rejoindre l’Union. Cette faille, entretenue au nom de la subsidiarité, permet potentiellement à tous les États membres de l’Union de remettre en cause demain un acquis si difficilement obtenu, si fragile. Aussi, j’appelle à ce que le droit à l’avortement soit inscrit dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. C’est le sens de ma proposition incluse dans la résolution que je vais présenter au Parlement européen, à propos de l’adhésion de l’Union à la Convention d’Istanbul sur la lutte contre les violences envers les femmes (1).
Lundi prochain sera un lundi noir pour la Pologne mais aussi pour l’Europe toute entière. Les femmes polonaises se mettront en grève. D’ici là, elles continueront à descendre dans la rue, avec tous ceux qui ne peuvent tolérer une telle atteinte à leurs droits. Si le droit à l’avortement ne devient pas un droit fondamental à l’échelle de l’Union, nous pourrions nous retrouver demain dans la même situation que les femmes polonaises. Ne les abandonnons pas.
(1) La Commission européenne a proposé en mars 2016 que l’Union européenne signe et ratifie cette convention du Conseil de l’Europe, au côté des États membres.