La commission d’enquête sur le Dieselgate a auditionné le mardi 8 novembre plusieurs ex et actuels fonctionnaires de la Commission européenne. Nous avons dans un premier temps interrogé Monsieur Heinz Zourek, ancien directeur général de la DG entreprise, et Monsieur Carlo Pettinelli, directeur de la DG GROW (Marché intérieur, industrie, entrepreneuriat et PME), qui étaient aux premières loges dans l’élaboration et le suivi des normes encadrant les véhicules automobiles en Europe (en particulier le règlement 715/2007 qui définit les limites légales d’émissions et interdit les dispositifs d’invalidation). Puis c’est Monsieur Jos Delbeke, directeur général de la DG CLIMA (Action pour le climat), que nous avons entendu, qui nous a parlé de qualité de l’air en Europe et des impacts de la pollution automobiles, des NOx mais aussi plus particulièrement du CO2.
C.RdAB : « Dans vos premières réponses, vous indiquez ne pas être au courant des fraudes sur les dispositifs d’invalidation mais en même temps vous saviez pertinemment qu’il y avait une vraie distorsion entre les émissions de polluants en laboratoire et les émissions en conditions réelles ; donc il y a bien une raison. Par ailleurs, sur la détection des dispositifs d’invalidation vous faites tous les deux la même réponse écrite à la question onze en disant qu’il est impossible de les détecter. Comment pouvez-vous être aussi certains qu’il est impossible de les détecter ? Quand on fait cette affirmation c’est qu’il y a eu une recherche, alors est-ce que vous avez demandé et fait faire une recherche sur la détection des dispositifs d’invalidation ? »
Réponse d’Heinz Zourek : « Le terme impossible est peut-être un peu ambigu, car à l’époque nous n’avions pas pu les identifier. Nous n’avons pas eu les moyens de les découvrir. »
C.RdAB : « Et vous n’avez jamais demandé au JRC ou à d’autres organismes de faire des recherches pour pouvoir les détecter ? C’était quand même un challenge très important, il y a une question de santé publique derrière, alors est-ce qu’il n’y a pas eu le souci de rechercher pour s’assurer que la règlementation 715/2007 soit correctement appliquée ? »
Réponse d’Heinz Zourek : « Je me souviens d’une fois où j’ai eu contact avec le directeur général du JRC pour lui demander s’il avait une idée de ce qu’ils faisaient ; il a répondu non »
C.RdAB : « Et vous n’avez pas demandé d’enquête, de recherche ? »
Réponse d’Heinz Zourek : « Nous ne savions pas comment fonctionnaient les instruments, c’est la raison pour laquelle il était difficile de donner l’information au JRC et de lui dire où chercher la faille. Mais j’ai demandé comment expliquer les divergences entre les résultats des tests en laboratoire et en conditions réelles. »
Réponse de Carlo Pettinelli : « Nous étions conscients qu’il y avait cette différence mais personne n’a jamais pensé que cela venait d’une fraude. Nous pensions que cela venait d’une flexibilité permise pas les tests. Je me suis renseigné sur ces flexibilités, comme par exemple le gonflage des pneus à pression maximale admise pendant le test, le choix des pneus et d’autres pratiques admises par la règlementation. C’est pourquoi nous avons préféré changer la règlementation. »
C.RdAB : « La règlementation est faite pour une bonne raison, et la question de santé publique est là clairement posée. Si c’était une question en lien avec le système de freins des véhicules, est-ce-que vous considéreriez normal d’autoriser cette flexibilité qui pourrait conduire à des accidents de la route ? L’enjeu de santé publique vous parle peut-être plus, mais la flexibilité c’est une fraude puisque c’est le non-respect de la législation. »
Réponse de Carlo Pettinelli : « Le cycle de tests a été conçu dans les années 80, début des années 90 quand l’attention était plus portée vers la sécurité que vers les émissions polluantes et particulièrement les émissions de CO2 ; et l’organisme qui donne les homologations vérifiait que tous les véhicules répondaient à la même règlementation. Alors, de la même manière que cet organisme national devait vérifier le fonctionnement des freins, il devait vérifier également que le système d’émissions des polluants fonctionnait correctement, de la même manière qu’il devait vérifier qu’il n’y avait pas de système frauduleux comme le système antiblocage des freins. Il devait également vérifier que le système pour les émissions ne devait pas être désactivé. Ce sont des vérifications techniques qui devaient être faites par les autorités nationales. En 2011-2012, quand la Commission s’est rendue compte que les divergences étaient vraiment importantes, nous avons changé la règlementation, car c’est notre rôle, et je me souviens que le vice-Président Tajani, dans une lettre aux Etats-membres, a demandé que les autorités nationales procèdent à une meilleure surveillance du marché. »
C.RdAB : « De fait la gestion des NOx et des CO2 relèvent de deux Directions générales différentes. C’est assez étonnant, si l’on considère qu’il faut lutter contre toutes les pollutions. Ça vous semble pertinent aujourd’hui, ou contreproductif ? Quand on voit l’évolution technologique par rapport au CO2 et sur les NOx, alors que c’était connu et que l’Agence Européenne de l’Environnement avait publié des rapports depuis 2003 extrêmement clairs sur l’impact des NOx dans la qualité de l’air européenne, ça ne vous parait pas contreproductif ces deux Directions générales ? »
Réponse de Jos Delbeke : « Je ne pense pas que ce soit une source de préoccupation et je vais vous expliquer pourquoi : en ce qui concerne la pollution de l’air nous avons une limite stricte des polluants et il n’est pas possible d’aller au-delà. Lorsqu’il y a une nouvelle voiture sur le marché, il y a un test pour vérifier que cette voiture respecte la limite d’émission et dans le cas contraire la voiture ne peut pas être mise sur le marché.
C.RdAB : « Donc après le scandale, les recherches, les commissions d’enquête nationales et les tests qui ont été faits en conditions réelles, y compris sur le CO2, un certain nombre de véhicules ne respectait pas les limites. Donc oui il y a une législation mais elle n’est pas appliquée correctement. »
Réponse de Jos Delbeke : « La manière dont on règlemente le CO2 est différente, plus c’est bas mieux c’est. Donc il n’y a pas de points limites qui permettent ou non de mettre une voiture sur le marché. C’est le cas pour les NOx et les particules fines mais ce n’est pas le cas pour le CO2. Le problème concernant les émissions en situation réelle existe et j’accepte l’argument ; mais c’est un peu différent de l’affirmation qui dit que les particules fines et les NO2 doivent être traités de la même manière que le CO2. »
C.RdAB : « Dans les tests qui ont été fait sur les véhicules, on s’est rendu compte qu’à la fois sur les questions de NOx et de CO2 les véhicules ne respectaient pas la règlementation européenne et ces véhicules n’ont toujours pas été retirées du marché automobile. »
Réponse de Jos Delbeke : « Je pense qu’en ce qui concerne le CO2 il n’y a pas d’élément probant suggérant que quelque chose d’illégal est survenu jusqu’à présent. J’espère que ça ne va pas sortir maintenant mais aucune activité illégale n’a eu lieu. Certaines activités ont été faites dans le cadre de la souplesse de la législation et ça a peut-être été exploité un peu trop de la part du secteur automobile par rapport à ce qu’on aurait souhaité, mais ce n’est pas illégal. »
C.RdAB : « Quand un conducteur se permet d’être flexible sur la limitation de vitesse et qu’il se permet de rouler à 70 km/h quand c’est limité à 50 km/h, doit-il demander à l’autorité de police d’être flexible ? Non ce n’est pas la norme. La flexibilité ou l’illégalité, c’est une question de terme mais juridiquement c’est différent ? »
Réponse de Jos Delbeke : « L’application de la législation ne peut être faite que par rapport à ce qui se trouve dans la législation, et dans la législation, nous le regrettons, le cycle NEDC et ce qui est autour permet une flexibilité trop large, trop généreuse par rapport à ce que l’on voit en ce moment. C’est la raison pour laquelle nous nous sommes engagés à corriger le tir par rapport à ces problèmes. »
C.RdAB : « Dans la réponse que vous avez faite à la question cinq vous citez la demande qui a été faite au JRC de développer une méthodologie de détection de defeat devices, vous l’écrivez dans votre réponse, est-ce que vous pouvez détailler ? Y-a-t-il déjà des pistes, un calendrier, est-ce que ça s’applique seulement au CO2 ou à toutes les émissions, y compris les NOx ? »
Réponse de Jos Delbeke : « Nous travaillons avec le JRC sur toute une série d’éléments de la législation automobile. Mais l’élément dont vous parlez c’est celui de la législation RDE et là il y a une variabilité suivant la manière dont on utilise la voiture et le comportement du conducteur ; ce qui est plus déterminant pour définir les émissions de polluants de la voiture. Dès lors nous avons demandé au mécanisme de conseil scientifique de nous apporter une réponse pour voir ce que peut faire le JRC à l’avenir pour que la législation soit meilleure et pour avoir de meilleures dispositions concernant le respect de la législation. Mais pour le moment ça n’existe pas et c’est ce qui explique la différence entre les polluants traditionnels et les particules par rapport au CO2. »