Monsieur le Secrétaire national du Parti communiste français, Cher Pierre Laurent,
Lors de la conférence de presse d’intronisation de Monsieur Ian Brossat comme tête de liste communiste pour les élections européennes, vous avez cru utile de refuser d’office toute alliance avec le Parti socialiste car, selon vous, nous voterions les réformes libérales contre les droits des travailleurs au Parlement européen.
Si chacun est libre d’avoir son opinion, les faits sont les mêmes pour tout le monde ; c’est pourquoi nous dénonçons avec force cette assertion scandaleuse qui ne résiste pas une seconde à l’examen des votes.
Quelques exemples sur les sujets emploi et affaires sociales d’abord.
Le 19 janvier 2017, nous avons voté un rapport sur le pilier social européen. Ce rapport visait à lutter contre les déséquilibres sociaux.
Parce que la crise que nous avons traversée a des origines sociales et des conséquences sociales, nous plaidions dans ce rapport pour une réponse sociale. L’enjeu de ce rapport : doter l’Union d’un pilier européen des droits sociaux, avec les mesures suivantes :
– un salaire minimum décent partout en Europe ;
– des conditions de travail décentes partout en Europe ;
– des initiatives pour l’emploi des jeunes, à commencer par un enseignement secondaire obligatoire ; chacun doit être sûr d’avoir les compétences nécessaires dans l’économie de demain ;
– des services publics de qualité, dotés des financements nécessaires ;
– un accès au logement social à un prix abordable ;
– un filet de sécurité sociale afin de garantir l’accès à des services de santé essentiels sans condition de ressources ;
– un protocole social afin de protéger les droits sociaux fondamentaux et du travail ;
– un encadrement européen pour une gestion socialement responsable des restructurations ;
– une nouvelle stratégie pour la santé et la sécurité au travail qui englobe les maladies liées au stress ;
– l’instauration du principe du salaire égal et de l’égalité des droits pour un travail de même valeur.
Nous avons soutenu ce rapport, et nous en sommes fiers. La délégation communiste au Parlement européen s’est quant à elle… divisée.
Autre exemple, le rapport adopté le 14 septembre 2016 sur la lutte contre le dumping social en Europe. Comme nous, comme les écologistes, vous avez voté en faveur de ce rapport qui appelle l’Europe à lutter contre le dumping social et pour la convergence sociale. Ce rapport proposait notamment les mesures concrètes suivantes :
– la lutte contre les sociétés dites « boîtes aux lettres » en s’assurant que les entreprises établies dans un État membre de l’Union aient une véritable activité ;
– la mise en place d’une liste noire des entreprises, y compris des sociétés « boîte aux lettres » responsables de graves violations de la législation sociale du travail. L’accès aux marchés publics, aux subventions publiques et aux fonds de l’UE devait leur être refusé pendant une période légale ;
– la création d’une Agence européenne du transport routier chargée d’assurer le contrôle du respect des règles ;
– la mise en place d’un seuil de 60% du salaire moyen national comme référence pour fixer au sein des États membres le salaire minimum ;
– l’extension de la responsabilité conjointe et solidaire sur la chaîne de sous-traitance ;
– la possibilité pour les autorités compétentes de suspendre la prestation de services en cas de sérieuses violations de la législation relative au détachement des travailleurs ;
– l’enregistrement des déclarations de détachement dans un registre européen pour faciliter la consultation et la coordination entre États membres ;
– la demande à la Commission d’évaluer l’impact du différentiel de cotisations sociales des employeurs et des salariés entre États membres ;
– la mise en place de dispositions pour lutter contre le travail indépendant factice, liées aux recommandations de la convention de l’OIT ;
– la prise en compte de la nouvelle proposition de révision de la directive sur le détachement.
Notons sur ce sujet l’abstention étonnante de votre colistier à l’époque, Jean-Luc Mélenchon.
Le 2 février 2016, nous avons – comme les représentants français de la GUE et des Verts – voté en faveur de l’établissement d’une plateforme européenne pour renforcer la coopération visant à prévenir et à décourager le travail caché.
Le 8 septembre 2015, nous avons voté ensemble le rapport sur la Convention sur le travail forcé de l’OIT.
Dans la bataille pour le congé maternité, pour défendre les chauffeurs routiers, ou encore sur le congé parental, nous luttons également ensemble au Parlement européen.
Donc, vraiment, sachez que sur ce point vous nous faites un faux procès très éloigné du Parti communiste new look que vous appelez de vos vœux.
Si vraiment vous voulez trouver des divergences entre nous, il faut se diriger vers la question des affaires étrangères et des droits de l’Homme. Un rapport dénonce le régime d’Erdogan en Turquie ? Vous vous abstenez.
Des rapports s’inquiètent de la situation en Russie après l’arrestation d’Alexeï Navalny et d’autres manifestants, de la situation des prisonniers politiques ukrainiens en Russie et de la situation en Crimée ? Mieux, vous votez contre. Poutine doit être l’idéal de votre Parti communiste new look.
Alors que le terrorisme, Trump et la Russie menacent, nous votons un rapport pour mettre en place une Europe de la défense ? Vous votez contre, là encore.
Regardons du côté de la politique industrielle : le rapport d’Edouard Martin sur le développement d’une industrie européenne durable des métaux de base ? Vous vous abstenez, comme les écologistes. Ce rapport rappelle pourtant que l’Europe peut et doit agir pour défendre ses entreprises, ses salariés, ses savoir-faire, ses normes sociales et environnementales, avec un fil rouge constant : l’Union européenne doit imposer ses normes sociales, fiscales et environnementales, si elle ne veut pas se résoudre à n’être, finalement, qu’un grand marché. Pourquoi donc ne pas le soutenir ?
Sur des sujets stratégiques pour l’avenir de l’Union européenne, comme le fait de doter la zone Euro d’une capacité budgétaire, vous votez contre. Alors que les écologistes soutiennent notre proposition. La même chose lorsqu’il s’agit de voter des règles pour lutter contre les pratiques d’évasion fiscale qui ont une incidence directe sur le fonctionnement du marché intérieur le 8 juin 2016. Sur l’échange automatique et obligatoire d’informations dans le domaine fiscal, vous vous divisez, sans que l’on comprenne pourquoi. La communication par certaines entreprises et succursales d’informations relatives à l’impôt sur les bénéfices? Là, aussi vous votez contre… contrairement aux écologistes et aux socialistes, car c’est là un outil indispensable pour lutter contre l’évasion fiscale. Sur les commissions mises en place pour lutter contre la fraude et l’évasion fiscale, vous vous abstenez, contrairement là encore aux écologistes et aux socialistes.
Encore un exemple choquant : le Parlement européen adopte une résolution sur les récentes évolutions en Pologne et leurs conséquences sur les droits fondamentaux inscrits dans la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, notamment en matière de droit des femmes. Vous vous abstenez, à l’exception notable de Marie-Christine Vergiat. L’honneur est sauf.
Bref. Je tiens à votre disposition l’ensemble des éléments concernant ces votes. Mieux : nous disposons d’un tableau qui recense les 200 votes les plus importants de la législature, car il ne s’agit là que de zakouski.
Par ailleurs, je note que, toujours lors de cette conférence de presse, vous avez déclaré envisager clairement une alliance avec les représentants de Générations, qui pourtant siègent et votent avec nous.
Notons également que vous envisagez une alliance avec les représentants écologistes, qui sur bien des sujets sont – à l’échelle européenne – plus à droite et surtout plus libéraux que vous ne l’imaginez, ce qui est symbolisé également par leur emplacement dans l’hémicycle. Un exemple d’actualité : ils ont toujours appelé à une libéralisation totale du ferroviaire en Europe…
Parce que rien de ce qui est à gauche ne nous est étranger, nous restons ouverts au dialogue, car nous savons que sur des sujets essentiels, comme la protection des migrants, nous nous retrouverons. Mais ce dialogue a besoin de faits vérifiés et argumentés, de rigueur et de sérieux. Dans l’histoire de la gauche, le bagage le plus lourd à porter n’est pas celui qu’on croit !
Amitiés socialistes,
Christine Revault d’Allonnes-Bonnefoy
Présidente de la Délégation socialiste française au Parlement européen