La commission EMIS, qui enquête sur les fraudes aux émissions de polluants des véhicules routiers, s’est réunie cette semaine, le 13 et le 14 juillet. Cette séance était consacrée aux constructeurs automobiles, avec les auditions de 3 d’entre eux (Renault, Mitsubishi, et le très attendu Volkswagen), ainsi que de l’association européenne qui les représente à Bruxelles (l’ACEA). Ils ont été interrogés sur des questions techniques auxquelles la commission EMIS est régulièrement confrontée, et les échanges ont permis de lever certaines contradictions, ainsi que de clarifier certains points, en particulier via la comparaison entre des cultures d’entreprises différentes ; si le travail à faire reste encore très important, le puzzle se dessine peu à peu. Je n’ai par ailleurs pas eu l’occasion de l’interroger personnellement, mais l’ancien commissaire à l’environnement (2004-2010), Stavros Dimas, a également été entendu le 14 juillet.
RENAULT
M. Gaspar Gascon Abellan, vice-Président exécutif en charge de l’ingénierie du Groupe Renault
CRAB : Je reviens sur ce que les uns et les autres savaient, en 2004, sur les effets des NOx et le fossé entre les mesures en laboratoire et les émissions dans les conditions normales, dans la vraie vie, là où les citoyens respirent. En 2004 il y a un rapport de l’Agence Européenne pour l’Environnement qui évoque les morts prématurées liées aux émissions de NOx et liées aux émissions des véhicules. En 2007, dans le règlement 715/2007 que vous considérez comme insuffisamment clair, il y a quand même des points qui le sont, je vais vous lire le considérant 15 qui démontre qu’en 2007 la Commission, le Conseil des États-membres et tous les organismes qui ont travaillé là-dessus avaient cette connaissance : « Des révisions peuvent être nécessaires pour garantir que les émissions mondiales effectives correspondent à celles qui sont mesurées lors de la réception. L’utilisation de systèmes de mesure portables des émissions et l’introduction du concept réglementaire du «non-dépassement» devraient aussi être envisagées. », c’était il y a presque 10 ans.
En 10 ans, il y a le temps d’agir. Avec cette connaissance, dans un document qui est une loi européenne, et qui s’impose à tous, aussi avec le séminaire du CTVM qui parle de règlementation sur les tests en conditions réelles « dans les 2 ans » en 2010 (même si finalement ils n’arriveront qu’en 2017), avec Renault qui travaille beaucoup pour les véhicules électriques, comme dit lors de l’introduction, pourquoi avez-vous considéré qu’il fallait garder pour les véhicules diesel le système EGR, sachant qu’il n’était pas efficace? Pourquoi n’avoir pas plus anticipé le problème et annoncer plus tôt le plan anti-NOx?
M. Gascon Abellan : Tous ceux qui connaissent un peu la technologie des moteurs savent que l’EGR est indispensable.
CRAB : Oui, mais l’EGR seul ne suffit pas. Et aujourd’hui vous considérez que sur certains véhicules vous allez mettre deux dispositifs antipollution, et sur d’autres, un seul, donc comment se fait le choix ? C’est une question de coût? C’est une question de quoi? Lutter contre la pollution aux NOx est aussi important que de lutter contre la pollution au CO².
M. Gascon Abellan : Mon entreprise est très consciente, et socialement responsable, nous appliquons les technologies quand elles sont prêtes. Certes en 10 ans on peut faire beaucoup de choses, mais les mesures PEMS fiables pour des véhicules particuliers ne sont prêtes que depuis 3 ou 4 ans. Encore aujourd’hui, et vous pouvez vous référer aux autorités qui font les mesures, vous pouvez leur poser la question de la fiabilité des systèmes qu’on utilise. On est en train d’arriver à des niveaux de précision dans la régulation qui sont parfois un peu incompatibles, ou en tout cas qui nécessitent des technologies très très pointues, c’est prêt depuis peu de temps. Les systèmes NOx trap (LNT) et SCR ne datent pas non plus de la nuit des temps sur les voitures particulières. J’insiste sur le fait que développer un moteur prend 3 à 4 ans, et il faut anticiper au préalable sur les technologies utilisées, car elles doivent encore rester efficace 5 à 10 ans après mise en service, pour être rentable, les investissements pour un nouveau moteur dépassent 1,5 milliard. C’est le cycle industriel. A partir de là, ce que je peux dire, c’est que Renault est conscient que même avec les technologies actuelles, il faut étudier comment améliorer les émissions.
CRAB : Est-ce que vous allez continuer à investir énormément en Recherche et Développement pour produire beaucoup de véhicules diesel, ou est-ce que vous considérez qu’il est temps de passer à d’autres systèmes, des véhicules à essence, électriques et hybrides ?
M. Gascon Abellan : Ce n’est pas un secret que Renault ne mise pas sur une seule technologie, nous sommes une entreprise mondiale qui opère dans différents marchés, ne vend pas que du diesel. Il est évident que le diesel, dû à la difficulté de respecter les nouvelles normes, et au fait d’avoir renchéri les systèmes, aura probablement une diffusion plus réduite que dans le passé. Donc nous développons les technologies hybrides, et surtout nous développons ce qui est pour nous le véhicule du futur, le véhicule électrique, vous verrez très bientôt sur le marché des véhicules avec une autonomie nettement supérieure, et des nouvelles familles de moteurs électriques actuellement en développement.
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ACEA
M. Paul Greening, Directeur des carburants et émissions, Association Européenne des Constructeurs Automobiles (ACEA)
CRAB : Vous avez dit plusieurs fois qu’il fallait absolument respecter la législation concernant le CO², mais qu’il y a aussi d’autres législations, notamment sur les NOx et les particules fines, ce sera la deuxième partie de ma question. Est-ce que vous considérez que le facteur de conformité de 1 sur les NOx est difficile à atteindre, est-ce lié au fait que le rapport coût-bénéfice mettait l’accent sur la diminution du CO² (et donc la consommation de carburant pour les consommateurs), plutôt que, en parallèle et dans le même temps, de respecter la législation sur le CO² et sur les NOx ? Concernant les particules fines, puisqu’il y a maintenant plusieurs constructeurs ont installé les filtres à particules céramiques, allez-vous encourager l’ensemble des constructeurs à le faire, et donc à ce qu’il n’y ait pas de facteur de conformité pour les particules, puisque la technologie est disponible et connue de tous ?
M. Greening : D’abord sur le dernière questions, c’est effectivement une collecte mécanique qui fonctionne très bien, cette technologie DPF est utilisée par certains constructeurs pour tous leurs moteurs, légers et poids lourds, pour les particules entre autres ultra fines ; pour les véhicules à essence le RDE fera vraiment une différence. Pour ce qui est de l’équilibre CO²-NOx, il est regrettable que la législation RDE ne comprenne pas une d’estimation du coût et de l’impact des différents scenarii, pour voir si la conformité x, y ou z était la voie à suivre. Avec le RDE, le défi pour les constructeurs pour atteindre les normes de CO² a augmenté, nous avons progressé pour atteindre les 95 g.
CRAB : Je voulais savoir si vous estimez que vous agissez d’abord sur le CO² puis sur les NOx, ou sur les 2 en parallèle, pour répondre aux obligations légales ?
M. Greening : sur les deux. Mais le seuil de CO² n’est pas par véhicule individuel, c’est par flotte, alors que pour les NOx c’est par véhicule, donc c’est différent.
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Mitsubishi Motors Corporation
M. Mitsuhiko Yamashita, vice-Président de Mitsubishi Motors Europe, M. Toru Hashimoto, cadre exécutif senior à la direction du développement du Groupe MMC, M. Motoyuki Kamiya, directeur général des affaires règlementaires, département de la règlementation et des certificats de conformité.
CRAB : Merci de votre présence et d’être venus de si loin. Je voulais savoir quelle est votre compréhension d’un point essentiel du règlement 715/2007, quelles sont pour vous les « conditions normales d’utilisation du véhicule » ?
M. Yamashita : pour répondre de manière générale, l’utilisation normale est difficile à définir, « normal » peut avoir un sens différent selon les pays, chaque conducteur peut avoir une compréhension différente du terme, cela dépend des saisons, c’est très difficile à définir, il y a 28 Etats-membres, donc le sens commun de « normal » est difficile à apprécier. Cependant pour les tests, c’est plus simple car c’est plus typique, c’est ce qui est reflété dans la règlementation d’après ma compréhension. Pour avoir une définition globale il faudrait prendre en compte un très grand nombre de conditions, mais la norme peut être vue comme les conditions les plus communes mises ensemble.
CRAB : Donc vous considérez que ce qui est une utilisation normale d’un véhicule, c’est quand ce véhicule est sur la route, et que ce sont ces conditions qui doivent être respectées selon la législation ?
M. Yamashita : Oui c’est ce que je pense.
CRAB : Merci beaucoup. Étant donné ce que vous venez de dire, pensez-vous qu’il soit « normal » en ce cas que le facteur de conformité ne soit pas de 1, mais dans un premier temps de 2,1 à partir de 2017 ? N’est-ce pas contradictoire avec les texte, selon vous ? En combien de temps pouvez-vous atteindre le facteur de conformité de 1 pour les véhicules du marché européen ?
M. Yamashita: pas encore de compréhension commune interne à ce sujet. En théorie le facteur de conformité de 1 est très difficile à atteindre, les tests sur route devraient être les mêmes que ceux en laboratoire, mais il y a énormément de conditions différentes à prendre en compte entre les tests en laboratoire et les tests RDE, pour limiter la marge d’erreur. Peut-être faudrait-il rajouter un peu de marge, 1,2 ou 1,3. Un facteur de conformité de 1 suppose une correspondance parfaite entre tests sur route et en laboratoire
CRAB : Vous dites dans votre réponse 4 utiliser une combinaison EGR et LNT pour 3 modèles de véhicules , pourquoi pas utiliser de SCR ? Et quid des filtres à céramique pour particules ultra fines ?
M. Hashimoto : Pour réduire les émissions de NOx, tout d’abord le contrôle EGR devrait encore être amélioré. MMC travaille actuellement à son amélioration pour l’avenir. La réduction des NOx peut se grâce aux dispositifs du moteur, mais aussi à l’aide d’une réduction du poids du véhicule, d’une réduction de la résistance dynamique à l’air, qui sont des facteurs qui contribuent aussi. Ces technologies sont en cours de développement pour réduire la quantité globale de NOx produits par le moteur, qui doivent ensuite passer par un système de post-traitement. La technologie à base d’urée, le SCR, est le système le plus efficace à ce jour. C’est pourquoi il est en cours de développement chez MMC. En ce qui concerne la technologie DPF, elle est très communément utilisée, aussi chez MMC. Dans tous les cas, les NOx émis par le moteur doivent être minimisés, que ce soit par une recirculation ou une réduction, puis être émis via le tuyau d’échappement, nous travaillons sur la diminution de cette quantité émise.